« Nous disons aujourd’hui : « Constituante ou barbarie » »
Oliver Rivas, militant du réseau de défense de la sécurité et la souveraineté alimentaire (REDSSA)
Oliver Rivas ne militait pas encore au sein d’un mouvement marxiste
en 1998. « Ma mère est la première chaviste de la maison. J’ai été
influencé par son engagement nationaliste, bolivarien et
anti-impérialiste »
Au début de ses études, il participe à l’occupation de l’Université
centrale en 2001, pour matérialiser les lois approuvées lors de
l’Assemblée Constituante de 1999. Mais la transformation universitaire
est rapidement devenu un domaine réservé aux universitaires. « Il faut
construire un modèle d’éducation pour la transformation de la société.
La pertinence sociale de l’Université est fondamentale. Il faut inclure
dans la formation universitaire un projet productif communautaire »
En 2007, les étudiants provenant de classes aisées lance un
mouvement contre Hugo Chavez, avec le soutien de la rectrice Cecilia
Arocha. L’Université centrale, lieu historique des luttes
révolutionnaires, devient un bastion de la droite. « La rectrice prétend
être une figure d’autorité pour présider un conseil électoral
parallèle, lors du plébiscite illégal organisé par l’opposition le 16
juillet. Le mandat de Cecilia Arocha est expiré depuis 4 ans. Elle est
dans l’obligation d’effectuer des élections ! »
Oliver milite au sein du réseau de défense de la sécurité et la
souveraineté alimentaire (REDSSA). L’abolition de la libre
convertibilité bolivar-peso colombien est une urgence pour lutter contre
la guerre économique. Une loi de l’État colombien favorise la
contrebande d’aliments. « Les produits de base subventionnés partent en
Colombie. Si je prends un kilo de lait en poudre au Venezuela, je le
vends à Cucuta en pesos, et lorsque je change ces pesos en bolivars, je
vais gagner jusqu’à 10 fois ce que j’ai dépensé en l’achetant au
Venezuela. Ces maisons de change sont la base économique de nombreuses
entreprises, liées au narcotrafic et au paramilitarisme ».
Les militants de la REDSSA proposent aussi d’installer des conseils
socialistes de travailleurs au sein de toutes les entreprises : « Nous
devons effectuer un contrôle depuis la base, pour participer aux
commissions qui définissent les prix des produits ». Oliver est
conscient que la perte du pouvoir politique est possible. « La
révolution n’est pas un chemin de fleurs et de poèmes. Rosa Luxembourg
parlait de « socialisme ou barbarie ». Nous disons aujourd’hui : «
Constituante ou barbarie ». Nous ne voulons pas de pacte avec les
élites, nous voulons « construire avec les mots des ponts
indestructibles », comme disait Mario Benedetti ».
« La révolution, c’est transformer les consciences »
Tamayba Lara, étudiante
Tamayba a 26 ans, elle a grandi avec Chavez, est passée par une
école bolivarienne, puis a bénéficié d’une bourse pour étudier à
l’université. « Aujourd’hui, certains considèrent que c’est naturel
d’avoir le droit à une éducation gratuite et de qualité. Ils oublient
que des jeunes comme Livia Gouverneur et Belinda Alvarez sont morts pour
obtenir ces droits ! »
En 1969, le gouvernement a forcé les portes de l’Université
Centrale du Venezuela, qui est resté fermée pendant plus d’un an et a
supprimé les résidences étudiantes : « Il pensait que c’était un foyer
d’organisation pour les étudiants de gauche ». Hugo Chavez a permis aux
jeunes bolivariens de reconstruire ces résidences universitaires. Au
sein de ces espaces autogérés les étudiants s’organisent pour apporter
leurs savoirs aux communautés voisines. Tamayba et ses camarades du
collectif « crée et combats » ont monté une pièce de théâtre pour
expliquer aux Vénézuéliens des quartiers populaires l’histoire de la
dépendance au pétrole, en utilisant la satire politique. « On leur
raconte l’histoire de la l’invasion des puissances européennes, mais
aussi de la résistance des Indiens, puis du processus d’indépendance, de
recolonisation par les « caudillos » qui ont trahi Bolivar et se sont
repartis les terres du peuple. Puis on leur parle de notre subordination
aux forces impériales, depuis le siècle dernier. On leur explique aussi
que nous sommes responsables de cette réalité, nous ne pouvons pas
toujours responsabiliser les autres de nos erreurs. La révolution, c’est
transformer notre conscience ».
Tamayba lutte aussi pour la reconnaissance de la parité politique.
« Les femmes, nous sommes la base sociale de la révolution, nous sommes
les plus actives dans les conseils communaux, mais nous ne sommes pas
représentées au sein du pouvoir de l’État. Nous devons aussi nous battre
pour la légalisation de l’avortement. Ce n’est pas possible que les
femmes riches avortent dans des bonnes conditions dans des cliniques
privées et les femmes pauvres meurent, en réalisant des avortements avec
des méthodes où elles risquent leur vie. L’État doit ouvrir un débat
public national ! »
« Nous devons décoloniser et démarchandiser l’éducation »
Rummie Quintero, candidate transsexuelle, étudiante en psychologie
Rummie Quintero est fière de sa mère, une militante paysanne noire
de la région côtière de Barlovento qui a quitté sa terre natale pour la
ville. Son père vient de la région andine de Trujillo. « Ma mère est
arrivée à Caracas, pour être traitée comme une esclave, cela m’a
beaucoup marqué »
Rummie lutte pour les droits des femmes depuis l’âge de 9 ans. «
Dans le quartier populaire du 23 de enero, les hommes machistes ne
permettaient pas aux filles de pratiquer le sport. On me discriminait,
on m’offensait, on me traitait de pédale. Je me disais qu’il fallait que
quelqu’un nous défende. Ce que j’ignorais, c’est qu’un jour ce serait
moi qui défendrait les transsexuelles ». Dès l’enfance, Rummie savait
qu’elle était une femme, elle adorait catwoman, et puis il s’est
identifié à wonderwomen. « Je la voyais comme une guerrière, je me
disais celle-là, c’est moi ! C’est une diva qui sait se défendre, et si
elle doit donner des coups aux hommes, elle le fait ! »
Rummie est devenue athlète, danseuse, et étudie aujourd’hui la
psychologie à l’Université bolivarienne. En 2004, elle fonde « Divas de
Venezuela », une association de défense de droits de l’Homme, qui «
s’occupe de toute personne qui en a besoin sans prendre en compte son
idéologie politique, même si Divas défend une vision humaniste de gauche
». Rummie a dû affronter le monde patriarcal, la transphobie dans le
milieu homosexuel. Et certaines féministes ne comprennent pas son combat
: « comme nous ne pouvons pas accoucher, pour elles nous ne sommes pas
des femmes »
Au moment de l’approbation de la loi organique du travail en 2012,
Rummie espérait que soit reconnue l’identité de genre, c’est finalement
la non- discrimination pour l’orientation sexuelle qui apparaît dans la
loi. Selon Rummie, l’assemblée constituante est une opportunité
historique pour la représentation des transsexuelles. « Nous devons
combattre les faux révolutionnaires. Un révolutionnaire doit d’abord se
révolutionner lui-même. Je dois me déconstruire pour me reconstruire.
Nous devons politiser l’université, la fille de Chavez, décoloniser et
démarchandiser l’éducation »
« L’autogestion est importante pour continuer la lutte »
Rigel Sergent, militant du mouvement des habitants contre la spéculation immobilière
Rigel Sergent avait 18 ans au moment de l’arrivée de Chavez au
pouvoir. Sa famille était menacée d’expulsion, car elle ne pouvait pas
acheter l’appartement qu’elle louait. Rigel prend conscience de cette
injustice, et commence à lutter. Il fait partie du « mouvement des
habitants », une plateforme qui rassemble divers mouvements : les
comités de terres urbaines, les mouvements de travailleuses
résidentielles dites « concierges », exploitées par les propriétaires
d’immeubles, les campements des pionniers qui occupent des espaces
privés et publics pour l’auto-construction de leur logement, les
occupants d’immeubles vides, et le mouvement des locataires, au sein
duquel Rigel milite.
« Au moment du boom pétrolier de 73, les pauvres paysans ont
quitté leur terres pour aller travailler en ville. Et c’est comme cela
que nos quartiers populaires se sont construits, à la périphérie de la
ville. La première lutte de Chavez, a été la titularisation des terres
urbaines. Les habitants écrivent l’histoire de la construction du
quartier, pour avoir une reconnaissance légale de la part de l’État.
Aujourd’hui, nous luttons, nous seulement pour la reconnaissance du
quartier, mais aussi pour sa transformation. Nous parlons du droit à
vivre dans la ville. On s’organise par exemples avec les comités
techniques d’eau pour avoir accès à l’eau potable ».
En décembre 2010, de nombreuses familles ont perdu leur logement à
cause des pluies torrentielles. Les réfugiés sont accueillis en urgence
dans des centres d’accueille et même au palais Miraflores. En 2011, Hugo
Chavez lance la Grande Mission Logement, que le président Nicolas
Maduro a développée. Près de 2 millions d’immeuble ont été construits. «
Le mouvements des habitants, doit être en lien permanent avec le
gouvernement pour développer l’auto-construction »
Pourquoi l’autogestion est-elle si importante ? « Parce que s’il y
avait une changement de gouvernement, nous serions capables de continuer
la lutte. Comme la fédération des coopératives pour l’aide mutuelle en
Uruguay, qui a construit 25 000 logement pendant la dictature des années
70 »
« La République est assiégée »
Reinaldo Iturriza, ancien ministre des communes et de la culture
Dans les années 1990, Reinaldo Iturriza, étudiant en sociologie,
militait au sein d’un mouvement révolutionnaire. Il avait vécu le
Caracazo, lorsque des centaines de pauvres furent massacrés par le
gouvnernement néoliberal de Carlos Andrés Perez. Il avait 20 ans au
moment de la rébellion civile et militaire de Chavez en 1992, et fut
témoin de sa campagne, à sa sortie de prison en 1994, lorsqu’il parti à
la rencontre du peuple opprimé. » Les années 1990 je la dénomme la »
décennie vertueuse, ce fut une décennie perdue sur le plan économique,
mais c’est à cette époque que se forge l’identité chaviste «
Pour Reinaldo, le chemin était tout tracé. Il avait le profil de
l’étudiant de classe moyenne populaire qui s’exile pour construire une
carrière universitaire. Mais l’arrivée de Chavez au pouvoir a tout
changé. « Lors de l’assemblée constituante de 1999, c’était fascinant de
participer à ce processus de création des nouvelles institutions. En
paraphrasant Paolo Virno, je dirais que c’était l’époque » de
l’exubérance des possibilités » « 18 ans plus tard, la réalité est
différente » En 1999, nous commencions à refonder la république.
Aujourd’hui, la république est assiégée. Nous vivons un Etat
d’exception « . Reinaldo Iturriza, qui fut ministre des Communes et de
la culture, considère que c’est le moment politique le plus difficile du
Chavisme : » Un gouvernement anti-chaviste, avec tout le soutien des
pouvoirs factices internationaux aurait surement plus de facilité à
gouverner les institutions, mais il n’arriverait surement pas à
gouverner le peuple chaviste indomptable ! «
Texte et photos : Angele Savino
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